Le peuple Surma (Suri)

Le peuple Surma (Suri)

Indifférents à toute religion, sans pouvoir politique organisé, les Surma vivent en autarcie, isolés dans leurs montagnes sauvages couvertes de forêts et de savanes.

Selon la tradition orale, les Surma seraient originaires de la région de l’Omo inférieur au nord du lac Turkana, même si leur langue fait plutôt penser à une ascendance nilotique. Ils se défendent vigoureusement de toute parenté avec les Mursi et les Bodi, bien qu’ils partagent de nombreuses coutumes et qu’ils parlent la même langue qu’eux. En revanche, ils appartiennent au même groupe que les Balé, peuple de la région du fleuve Akobo, à cheval sur l’Ethiopie et le Soudan, mais s’en différencient par un point essentiel : le bétail.

Les Surma, pour être contraints à cultiver la terre eux aussi, se déclarent fièrement pasteurs. Une épidémie de charbon, dans les années soixante-dix, anéantit d’un seul coup tous leurs troupeaux, les réduisant à la misère. S’ils furent obligés de cultiver du sorgho et du maïs pour survivre, ils ne changèrent en rien leur système de valeurs, et continuèrent à considérer les bovins comme symbole de richesse, de noblesse et de statut social.

Le commerce de l’or, qu’ils trouvent en assez grande quantité dans la région, leur permit de reconstituer leur cheptel et de découvrir, à cette occasion, que le métal jaune pouvait aussi servir à se procurer des armes à feu et des munitions au Soudan voisin, perpétuellement en guerre civile. Armés de fusils, comme il leur devint facile de se procurer du bétail ! Les razzias chez les Nyangatom, leurs ennemis de toujours, se firent plus nombreuses. Voici maintenant près d’une vingtaine d’années que les Surma sont en guerre avec ces voisins méridionaux.

Les Surma jouissent d’une autonomie politique de fait. Ils ne payent aucun impôt, et s’auto-administrent sans aucune interférence extérieure. En vérité, le territoire surma n’a jamais été vraiment conquis. Annexé à l’empire d’Ethiopie en 1897, il passa sous domination italienne quelques décennies plus tard sans aucun changement. Le régime communiste de Mengistu n’eut pas plus de succès, si bien qu’aujourd’hui encore les villages surma ne sont accessibles qu’après des heures de marche par des sentiers envahis de végétation.

Il n’y a pas de route, pas d’école, pas d’hôpital. Les montagnes comprises entre le cours du Kibish et l’escarpement qui domine la vallée de l’Omo comptent parmi les zones les plus reculées et les plus inaccessibles de tout le continent. Les pluies — près de six cents millimètres par an — tombent au printemps et en été sous forme d’averses violentes. Durant la saison sèche, les températures moyennes ne descendent jamais en-dessous de 33°C.

Les femmes pilent les grains qu’ensuite elles moudront pour en tirer une fine farine. D’autres grains seront mêlés à de l’eau, puis macèreront jusqu’à obtention de délicieuses boissons alcoolisées, épaisses en bouche et rappelant vaguement nos bières locales. Les jeunes Surma se voient confier la garde du petit bétail comme les chèvres, dans l’attente des rites de passage à l’âge adulte, qui alors seulement leur permettra de surveiller et de protéger des prédateurs ou tribus voisines les troupeaux de bovins. Les villages sont en général composés d’une trentaine de huttes en toit de chaume, à flanc de colline. Les champs sont disposés aux alentours, et une place du village est réservée aux rencontres, aux palabres et aux festivités.

Protégés par cet environnement dur et peu accessible, les Surma ont conservé les traditions de leurs ancêtres. Le dernier recensement dénombre environ 20 000 individus. Les Surmas n’ont pas de chefs. Leur système, privé de structure politique centralisée susceptible d’imposer une volonté coercitive, est dit par les ethnologues “acéphale” ou “segmenté”. La famille, avec femmes et enfants, est l’unité basique de leur organisation. Les hommes, généralement polygames, assument les tâches qui leur incombent loin du foyer. Ils défendent leur territoire, s’occupent des troupeaux parqués dans des enceintes construites à proximité des pâturages, parfois situés jusqu’à plus d’une journée de marche du village. La chasse aux petits et aux grands animaux est pour eux une source non négligeable de nourriture, aussi aller braconner jusque dans le Parc National de l’Omo voisin, compte-t-il parmi leurs pratiques habituelles.

Leur indépendance économique et l’absence de règles morales précises leur laissent une certaine liberté. Le sexe avant le mariage étant pratique courante, les mères apprennent à leurs filles à s’orienter dans leurs affaires amoureuses et quels sont les moyens de contraception les plus efficaces. Chez les Surma, la beauté physique est de première importance. Tous prennent grand soin de leur aspect extérieur, accordant une place de choix aux peintures corporelles. La coiffure est un autre élément prépondérant dans la fierté des guerriers Surma. Ils se rasent le crâne avec des lames de rasoir en laissant quelques lignes décoratives.

Ainsi qu’il en va chez les Mursi, les colliers de verroterie et les bracelets métalliques sont, avec le labret, les objets obligés de la séduction féminine. Façonné dans du bois ou de l’argile, ce plateau est rond ou trapézoïdal, et peut atteindre un diamètre considérable. Avec son labret de balsa et ses oreilles percées, la femme Surma représente une valeur enviable.

Pour les hommes, il est d’usage de procéder à des scarifications sur le torse, le ventre ou les bras, afin de rendre un éloge à leur bravoure. Les cicatrices survenant lors de combats aux bâtons, les Donga, laissent des marques indélébiles relatant les hauts faits et le courage démontré.

Lors du Donga, joute à la perche de bois, les adversaires seront mis face à face, deux par deux. La violence des affrontements contraint les participants à se protéger la tête et les articulations au moyen de fibres végétales tressées spécialement à cet effet. Tandis que le vainqueur attend son prochain adversaire, le vaincu sort de l’arène sous les honneurs, car le seul fait de participer est un signe d’honneur et de courage. A la fin il restera le vainqueur final, qui sera porté en triomphe sur une claie de perches. Puis il sera présenté par ses pairs au groupe de jeunes filles à marier qui choisiront entre elles celle qui le demandera en mariage.

Force, adresse et élégance sont de mise, et très souvent ces combats servent de prétexte à régler de vieilles querelles. Après un certain temps, l’excitation due à la vue du sang et à l’alcool absorbé, atteint son paroxysme, et le climat devient souvent électrique ; et le tournoi se termine parfois par des morts. Ces combats entre habitants d’un même village ou de villages alliés, servent d’exutoire à l’agressivité des jeunes hommes des deux premières classes d’âge entre 16 et 32 ans. Lors de ces combats tous les coups sont permis, mais il est interdit de tuer son adversaire. Si par mégarde cela devait arriver, le fautif est banni du village avec toute sa famille. Il devra en outre laisser une jeune fille aux parents de la victime en compensation de la vie prélevée.

Comme les Massaï et autres peuples pasteurs de l’Est africain, les Surma ont un régime alimentaire adapté aux rudes conditions locales, à base de lait et de sang frais, seules sources de protéines animales. Les bêtes à cornes en effet, leur seule richesse, sont trop précieuses pour être mangées, aussi se contentent-ils de leur prélever périodiquement un peu de sang. Pour cela, ils décochent à bout portant une fine flèche dans la veine jugulaire de l’animal afin de faire couler généreusement le précieux liquide vital.